Claude Bricage - Maguy Marin

Photographies d’une chorégraphie : May B

1993

Arts chorégraphiques : l’auteur dans l’œuvre. Armand Colin, 1993

Auteur Bernard Noël
Conception et direction de la collection Lorrina Niclas
Collaborations Yves Jouan, Eva Ibanez-Lago
Réalisation plastique Gilles Seegmuller

 

Avant-propos

May B / Claude Bricage : des photos sont nées, qui révèlent non seulement ce que mettent en mouvement Maguy Marin et sa compagnie, mais un regard creusant dans la matière même de l’œuvre son propre chemin, sa propre dramaturgie. Car le photographe « de la théâtralité » le savait : la rencontre artistique n’est possible que dans l’expérience sans cesse renouvelée de la liberté, fût-ce au cœur de la contrainte.

Cette rencontre, c’est précisément ce que Michèle Meunier a favorisé, à l’origine comme au long de cette expérience. Amie de Samuel Beckett, de Claude Bricage et de Maguy Marin, attachée de presse de la Maison des arts de Créteil – lieu de résidence de la compagnie Maguy Marin -, elle provoqua le hasard. Et puis…

« La curiosité professionnelle de Claude, dit-elle, fit peu à peu place à la complicité cimentée par l’émotion, nourrie par son exigence et celle de Maguy. »

Messagère de Claude Bricage auprès de la compagnie lorsque celui-ci voulut photographier « May B. » sur les bords du canal de l’Ourcq, elle savait qu’elle trouverait alors une confirmation : « Claude ne se contentait pas d’être un témoin attentif. Il était avant tout un poète. »

Maguy Marin et ses danseurs le savent, comme tous les danseurs et chorégraphes : tout doit disparaitre et rien, pourtant rien, ne se perd. Claude Bricage nous a laissé des traces lumineuses, silhouettes aux contours tantôt oubliés par elles-mêmes, tantôt précis comme ses mots, univers forts d’univers parcourus, saisis non tant pour ce qu’ils sont que pour ce qu’ils deviennent : éléments constitutifs, à nouveau, d’un langage.
Et ce n’est pas un effet du hasard si Claude Bricage a souhaité faire appel à un artiste écrivain pour porter un autre éclairage sur les langages chorégraphique et photographique. C’est à Michèle Meunier que nous devons la proposition faite à Bernard Noël de s’engager dans ce projet.

Depuis toujours, penché sur la genèse de la pensée, Bernard Noël interroge le corps. Cherchant à saisir ce qui, dans la perception même, va rencontrer le corps pour donner à penser, à voir, à agir, il interroge l’œil. Il le fait « au regard » de la double aventure de vivre et d’écrire, de vivre en écriture. Qui ne trouverait évocateurs des titres d’ouvrages comme « Onze romans d’œil » ou encore « André Masson, la chair du regard » ? Dès 1972, Bernard Noël écrivait : « la succession des phrases forme comme un geste pour éclaircir la vitre, mais elle est déjà si transparente qu’on ne la voit pas ; c’est la ruse des mots : ils désignent ce qui n’est pas là. Et le Vide est notre Dieu. » S’il s’agit bien de la « ruse des mots », il n’empêche que Bernard Noël conduit vers « ce qui n’est pas là » sa lecture de toute œuvre d’art. Parle-t-il d’une photo, voici qu’elle « vient d’ouvrir la tombe du temps » ; parle-t-il du spectacle et le voici, avec la photo, porteur de « la condition humaine ».

Décidément, rien de ce livre ne prétend transmettre le concret de « May B. » C’est que l’œuvre est une œuvre, et que « May B. » ne peut être restituée que par elle-même. L’œuvre n’est présente qu’«en réserve », comme l’autre de cette conversation à trois. À quatre ou cinq, si le public ou le lecteur s’en mêle.

Pour notre part, nous sommes heureux de réaliser ce livre auquel Claude Bricage tenait tant, et dont la compagnie Maguy Marin nous a soumis le projet. La collaboration de l’association « Photographier la ville » a été très précieuse. Connaissant la valeur de « May B. », de l’œuvre photographique de Bricage et des écrits de Bernard Noël, nous nous sommes engagés sans hésitation. Le travail du graphiste Gilles Seegmuller a complété ce qui, déjà, s’annonçait comme une rencontre de talents.

Ouvrage réalisé par le Centre international de Bagnolet pour les œuvres chorégraphiques Seine Saint-Denis et coédité par Armand Colin.