Ligne de crête

Créé en 2018 / TNP de Villeurbanne dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon

conception Maguy Marin
une pièce pour 7 interprètes 
en étroite collaboration et avec Ulises Alvarez, Laura Frigato, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda
lumières Alexandre Béneteaud
dispositif scénique & bande son Charlie Aubry
régie son Chloé Barbe
réalisation dispositif scénique Albin Chavignon, Balyam Ballabeni
costumes Nelly Geyres
stagiaire Lise Messina

1h05

« Où en est le désir des gens ? » 1

Étouffée, noyée dans le nœud constitué des tourments de notre époque - violences du social, déchainements du désir marchand, structures économiques et politiques toujours plus opaques, injustices criantes, guerres, morts et noyés, espoirs désenchantés, démissions et sensations d’impuissance, repli sur soi et « corps dorlotés » - cette simple question invite, à même la toile d’araignée formant obstacle, à une réflexion profonde sur ce qui, pour chacun, présente un intérêt essentiel dans sa propre existence, fait écran à nos désirs collectifs de transformation sociale.

Se tenir debout, pas à pas, et cheminer sur une ligne de crête entre deux dangereux versants, violence des dysfonctionnements institutionnels et violence des passions des hommes « tels qu’ils sont et non tels qu’on voudrait qu’ils fussent » 2, déplier l’inclinaison à percevoir, sentir, faire et penser d’une certaine manière, intériorisées et incorporées par chaque individu au travers de ses affects, « renoncer à ce qu’on a appris à aimer » 3. Voilà l’effort que nous devrons mettre en œuvre pour retrouver la capacité à nous refaire un régime de désir autre que celui qu’a instauré patiemment le capitalisme et son rejeton infâme le néolibéralisme. Un processus de libération.

C’est à partir de cette « étrange » combinatoire proposée par Frédéric Lordon dans son livre Capitalisme, désir et servitude, entre les passions de la philosophie de Spinoza et la philosophie politique de Marx, que prendra forme cette nouvelle pièce. Accompagnée d’une équipe de six artistes-interprètes, compagnons de route, je désire m’engager sur cette piste-là, piste déjà amorcée par la dernière pièce DEUX MILLE DIX SEPT, avec l’intention de la prendre par un autre bout, à la manière des fous d’escalades qui, s’y reprenant avec endurance, changent radicalement les angles d’attaque, découvrent les voies inexplorées, pour tenter de venir à bout d’un sommet peut-être inatteignable…

Dans le Post-Scriptum qui suit le texte de sa pièce, D’un retournement l’autre , Frédéric Lordon après avoir cité Spinoza et Bourdieu - il n’y a pas de force intrinsèque des idées vraies - affirme que : (…) c’est l’art qui dispose constitutivement de tous les moyens d’affecter parce qu’il s’adresse d’abord aux corps auxquels il propose immédiatement des affections : des images et des sons. (...) Non pas que l’art aurait pour finalité première de véhiculer des idées – il peut très bien, il peut surtout, se concevoir comme production d’affections intransitives, à la manière si l’on veut des percepts de Deleuze. Mais il peut aussi avoir envie de dire quelque chose. Sans doute cette forme de l’art a-t-elle perdu les faveurs dont elle a pu jouir dans la deuxième moitié du XXème siècle au point que « l’art engagé » soit presque devenu ensoi une étiquette risible, dont on ne voit plus que les intentions lourdement signifiantes, les propos trop délibérés et le magistère pénible. On peut bien avoir tous les griefs du monde pour l’art-qui-veut-dire, le problème n’en reste pas moins entier du côté opposé : car en face de l’art qui dit, il y a les choses en attente d’être dites. Or, elles ont impérieusement besoin d’affections et « l’art politique » refluant, les choses à dire menacent de rester en plan – ou bien de vivoter dans la vitalité diminuée, dans la débilité de la pure analyse. Si elles ont besoin d’affections, qui va les leur donner ? Et elles en ont besoin pour devenir puissantes, c’est à dire dotées d’un pouvoir d’affecter, condition pour entrer vraiment dans les têtes, c’est à dire en fait dans les corps et y produire des effets ( des effets qui sont des mouvements : accélération du rythme cardiaque, tension artérielle, agitation colérique, éventuellement dépli des jambes, action de les mouvoir, locomotion qui fait se rendre quelque part, participer à une réunion, entrer dans le local d’un groupe, peut-être à la fin prendre la rue).(…) Contre les avantages inertiels de la domination tous les moyens sont bons, tout est envisageable, cinéma, de fiction ou de documentaire, littérature, photo, BD, installations, tous les procédés sont à considérer pour monter des machines affectantes. Le théâtre est l’un d’eux (…)

1 Question, posée par Frédéric Lordon lors d’une conférence intitulée Au-delà du capitalisme ,
2 Baruch Spinoza - Traité politique
3 Conférence de Frédéric Lordon Au-delà du capitalisme

coproductions Biennale de la Danse de Lyon
Théâtre de la Ville - Paris
Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis
La Briqueterie-CDCN du Val-de-Marne, 
Ville de Fontenay-sous-Bois
théâtre Garonne, scène européenne – Toulouse
ThéâtredelaCité - CDN Toulouse Occitanie
La Place de la Danse - CDCN Toulouse - Occitanie
Compagnie Maguy Marin
avec le soutien du Conseil Départemental du Val de Marne pour l’aide à la création